
Avec une bouteille d’alcool, tout est si rose et cirrhose
Trace d’apprentissage personnelle réalisée intégralement dans le cadre de mon internat de médecine générale pour la faculté. Ne pas reproduire, merci. Toute ressemblance à un cas réel est fortuite. Certains éléments ont été modifiés afin de ne pas reconnaître le patient concerné.
Aujourd’hui, à 14h, vient nous voir en consultation un jeune monsieur de 19 ans. On s’installe et on lui demande ce qui l’amène. On le sent un peu gêné. Il a l’air de choisir ses mots. Puis il nous dit qu’il vient aujourd’hui car il souhaite un arrêt de travail pour la journée. On lui demande alors ce qui motive sa demande et là il commence à nous raconter pendant cinq minutes ce qui lui est arrivé.
Pour synthétiser son histoire, hier soir, il a été faire la fête avec un copain. Ils ont consommé pas mal d’alcool tous deux, il n’y a pas eu de consommation de drogues. Malheureusement, son copain alcoolisé a pris le volant et ils ont eu un contrôle policier. Il nous dit s’être disputé devant les policiers avec son copain car il lui a reproché d’avoir pris le volant dans cet état. Dans leur état instable d’ébriété, ils en sont venus aux mains sous les yeux des autorités. Ils ont donc fini tous deux en garde à vue en cellule de dégrisement. “J’ai rien demandé à personne moi”. Le patient n’assume pas du tout ce qui s’est passé hier. Pour lui, c’est entièrement la faute de son ami. Le problème, c’est qu’il devait aller travailler aujourd’hui. Et son employeur n’est autre que son père. Quand il a récupéré son téléphone après la garde à vue ce matin, il lui a dit qu’il était malade et qu’il ne pouvait pas venir travailler aujourd’hui. Le patient nous dit qu’il ne veut pas que ses parents soient au courant qu’il a passé la nuit au poste. Il nous raconte tout ça avec beaucoup de honte, il a les joues toutes rouges. On sent qu’il ne surjoue pas et qu’il est réellement mal à l’aise.
Je reprends son dossier. Il n’a pas d’antécédents particuliers. Il n’a pas d’allergies connues. Nous passons alors à l’examen clinique. Je prends sa tension artérielle qui est normale à 120/70 mmHg. L’auscultation cardiaque retrouve un rythme régulier sans souffle audible mais une tachycardie à 100bpm. L’auscultation pulmonaire est propre, sans bruits surajoutés. Il n’a aucune plainte somatique.
Je me réinstalle au bureau pour écrire les informations de l’examen dans le dossier médical. Je trouve qu’il sent encore fort l’alcool. Ne s’est il pas changé entre temps? Je lui demande alors à tout hasard s’il a bu depuis hier soir. Il me répond que oui, il a été boire un “coup vite fait” après être sorti de garde à vue.
Mon maître de stage, Dr V., prend le relai. Je ne me sens pas du tout capable de gérer cette situation pour le moment, il me manque des outils et je préfère voir comment la suite de l’entretien se déroule. Il lui demande alors s’il trouve ça normal d’aller boire un verre après être sorti de garde à vue pour état d’ébriété sur la voie publique en compagnie d’un conducteur conduisant dans cet état ? Le patient ne sait pas trop quoi répondre, il dit qu’il en avait besoin après cette nuit stressante. Il lui demande qu’en est-il de sa consommation d’alcool ? Le patient dit que ça lui arrive de boire quasiment tous les jours. On lui demande là aussi si c’est normal d’après lui d’avoir besoin de boire tous les jours. Et on le laisse sur cette question.
On lui demande ce qu’il pense de la situation. Il critique son comportement par rapport à l’alcool et sait qu’il n’aurait pas dû se mettre dans cette position. On lui explique qu’on va lui faire un arrêt médical exceptionnellement ce jour pour lui laisser le temps de solutionner ses problèmes.
On lui donne quelques règles hygiéno-diététiques en insistant sur le fait que la consommation d’alcool doit rester occasionnelle et que nous sommes à sa disposition pour l’aider s’il en ressent besoin ou s’il sent que la situation lui échappe.
Le but ici n’est pas de lui dire que ce qu’il a fait ce n’est pas bien et être dans le rôle de parent qu’il cherche justement à fuir (mensonge par omission envers ses parents), l’objectif est plutôt de le faire réfléchir quant à ses actions pour que les conclusions viennent de lui même en l’amenant à ça juste par des petites questions factuelles. C’est là toute la différence entre discours moralisateur et discours productif encourageant au changement.
Pour résumer, nous avons donc proposé au jeune homme lors de cette consultation plusieurs pistes de réflexion et travail:
- Explorer sa consommation d’alcool : est-elle normale ? Quoi changer ? Pourquoi changer?
- Critiquer ses actions à lui et non pas les autres. Sa vie est le résultat de ses choix, qu’aurait pu t-il faire à son niveau hier pour qu’il ne se retrouve pas en garde à vue ?
- Souligner le caractère exceptionnel de l’arrêt donné qui n’est pas à proprement dit médical mais plutôt social. Ce n’est pas au médecin d’excuser son comportement. Cela ne doit plus se reproduire.
En conclusion, j’ai trouvé cette consultation hyper enrichissante car j’ai vraiment pu voir de manière concrète notre rôle tant que médecin généraliste pour réaliser de la prévention et accompagner les jeunes dans une démarche de prise de conscience des effets de l’alcool. Y’avait-il une autre conduite à tenir dans cette situation ? Peut-être. Mais cet entretien a été possible car le jeune homme fait confiance à son médecin traitant et peut lui parler de ce qu’il a fait sans craindre un jugement ou des réprimandes. Cette place est difficile à obtenir, équilibre minutieux entre savoir faire preuve de fermeté dans ses prescriptions pour ne pas passer pour un médecin ayant l’arrêt facile sur demande, à la merci du patient, mais aussi savoir preuve d’écoute sans passer pour le médecin insensible et froid, aux épreuves et erreurs de vie qu’une personne peut rencontrer sur son chemin.